LA BIBLE CONFIRMEE PAR l'ARCHEOLOGIE
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LA BIBLE CONFIRMEE PAR l'ARCHEOLOGIE
Par Michel Gurfinkiel pour Valeurs Actuelles, 2014
La Bible est le Livre de Dieu, mais aussi celui d’un peuple : Israël. A l’aube du XXIe siècle, on peut affirmer que l’archéologie et la génétique valident définitivement cette saga, des Patriarches jusqu’au Deuxième Temple.
La Bible reste le livre le plus lu, le plus traduit et le plus vendu au monde. Elle a été publiée dans quelque 2500 langues différentes, et souvent plusieurs fois dans la même langue. 95 % de la population mondiale pourraient y avoir accès, à condition de savoir lire et d’avoir le droit de le lire (ce qui n’est pas toujours le cas).
Et pourtant ce livre – ou cet ensemble de livres étroitement liés les uns aux autres – est consacré pour l’essentiel à un seul peuple, les Hébreux. C’est le sujet quasi exclusif de l’Ancien Testament, qui constitue les trois quarts du corpus, et un sujet important du Nouveau Testament, qui lui fait suite. Si la Bible commence « par le commencement », c’est à dire la création du monde et du genre humain, elle se resserre rapidement sur l’histoire du Sémite Abraham et de sa descendance, Israël : famille, puis clan, puis nation. De même, les événements clés du Nouveau Testament, relatés dans les Evangiles, concernent-ils principalement des Israélites : Jésus au premier chef.
Jusqu’au XVIIIe siècle, les lecteurs juifs ou chrétiens ne s’interrogeaient guère sur la véracité ou l’historicité de l’Ancien Testament : les désaccords et les débats ne portaient que sur le Nouveau, que les juifs ne reconnaissaient pas, et accessoirement sur quelques textes grecs situés entre les deux Testaments. Quelques savants, dans les deux religions, avaient toutefois noté ici ou là des difficultés ou des contradictions. Le Talmud, somme de la pensée rabbinique antique, ne les esquivait pas. S’il affirmait que les cinq premiers livres de l’Ancien Testament, le Pentateuque, avaient été été dictés par Dieu Lui-même à Moïse, au iota près, il attribuait aux livres suivants, Prophètes et Hagiographes, des rédacteurs tout à fait humains, tantôt individus, tantôt « écoles » ayant réuni plusieurs générations de sages (Traité Baba Bathra, 14b-15a). Ce qui ne retirait rien à leur caractère « inspiré », mais pouvait expliquer de nombreuses disparités.
Au XVIIe siècle, quelques érudits appliquent pour la première fois aux textes bibliques les méthodes critiques utilisées pour l’édition des textes profanes grecs et latins. Ce mouvement atteint son apogée au XIXe siècle, avec la « haute critique », une école dominée par des théologiens et des linguistes allemands : notamment l’Allemand Julius Wellhausen (1844-1918), qui met en forme « l’hypothèse documentaire », selon laquelle la Bible, telle que nous la connaissons, serait un texte composite, où des « sources » diverses (« élohiste », « jéhoviste », « sacerdotale », « deutéronomiste ») auraient été amalgamées et « lissées » avec plus ou moins de bonheur.
C’est le début d’une sorte de course-poursuite entre deux partis : ceux qui rejettent l’historicité de la Bible et par voie de conséquence « l’histoire sainte » du peuple hébreu telle qu’elle était traditionnellement admise par les juifs et les chrétiens ; ceux qui au contraire entendent prouver cette historicité et valider cette histoire.
Les « biblistes » mènent une contre-attaque en règle contre les « antibiblistes » à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle en s’appuyant sur une autre discipline scientifique : l’archéologie. Les fouilles, en Egypte, au Levant, en Mésopotamie, le déchiffrement des écritures antiques (hiéroglyphes, cunéiformes, premiers alphabets), semblent en effet confirmer, dans un premier temps, les récits de l’Ancien Testament. Les « antibiblistes » vont reprendre ensuite l’avantage en insistant, au fur et à mesure que l’archéologie progresse, sur des écarts importants entre la Bible et de nouvelles découvertes, ou bien en avançant que les parallélismes entre textes bibliques et non-bibliques peuvent s’expliquer dans les deux sens, non seulement par la « vérité » de la Bible mais aussi par des emprunts des auteurs du Livre saint aux autres littératures de l’Orient ancien.
Mais une quatrième nouvelle révolution, depuis une cinquantaine d’année, joue en faveur des « biblistes » : et cette fois, d’une manière qui pourrait être décisive. De nouveaux chantiers archéologiques ont été ouverts. Conduits avec des méthodes beaucoup plus rigoureuses que par le passé, ils ont souvent fourni des « chainons manquants » entre Bible et histoire générale. L’informatique, la physique, la chimie, la génétique, l’histoire du climat, ont également modifié les termes du débat. Certes, le cloisonnement croissant entre disciplines historiques ou archéologiques d’une part, et un décalage permanent, d’une trentaine d’années en moyenne, entre la recherche universitaire de pointe et les vulgarisations destinées au grand public, masquent souvent ces progrès. Tout comme une tendance naturelle des non-spécialistes à extrapoler, pour des raisons politiques ou philosophiques, à partir de notions scientifiques mal maîtrisées ; ou encore d’opérations montées par des faussaires, afin d’approvisionner au prix fort des musées ou des laboratoires. Mais on est désormais en mesure de lire ou de relire la Bible – le Livre des Hébreux – comme on ne l’a jamais fait.
La partie la plus ancienne de la Bible, les vies des Patriarches, vient d’être validée sur deux points essentiels
Ainsi, des comparaisons avec des sources externes, notamment les chronologies royales assyriennes, confirmaient largement le récit biblique à partir du VIIe siècle avant l’ère chrétienne ; et d’autres éléments de comparaison confortaient le récit portant sur les deux ou trois siècles précédents. Mais la partie la plus ancienne de la Bible, notamment les vies des Patriarches, passait pour légendaire. Or elle vient d’être validée sur deux points essentiels : le peuple hébreu ou juif descend bien d’un seul clan antique ; et celui-ci venait bien du nord de la Mésopotamie.
C’est la biologie moléculaire qui permet de l’affirmer. Depuis les années 1990, cette discipline reconstitue avec une précision absolue les lignées masculines, révélées par le chromosome Y, et les lignées féminines, mises en évidence par l’ADN mitochondrial. En ce qui concerne les juifs, diverses équipes de chercheurs ont pu ainsi établir une forte homogénéité collective : selon Michael F. Hammer, qui a dirigé l’une de ces équipes à l’Université de l’Arizona, « dans chaque pays, le pool génétique des communautés juives, qu’elles soient ashkénazes ou sépharades, est plus proche de celui de n’importe quelle autre communauté juive dans le monde que de celui de la population non-juive locale, ce qui semble montrer que les conversions et les mariages mixtes ont joué un rôle négligeable dans l’histoire du peuple juif ».
Les généticiens ont également démontré que les juifs ashkénazes et sépharades étaient extrêmement proches des Kurdes musulmans du nord de l’Irak, une population qui, tout en changeant plusieurs fois de nom, de langue et de religion, n’a jamais quitté son territoire. Quand elle affirme qu’Abraham, né à Haran, dans le Kurdistan actuel, émigre vers le Levant pour fonder le peuple d’Israël, la Bible rapporte donc un fait hautement plausible. Les mêmes études donnent par ailleurs une signification nouvelle au trope biblique consistant à confondre un individu et le peuple dont il est le géniteur (Israël, Ismaël, Edom, Moav, Ammon) : elles indiquent en effet que toutes les populations juives actuelles ont pour origine huit lignages seulement. Enfin, elles confirment la chronologie biblique, en faisant vivre ces ancêtres communs « voici quatre mille ans » : vers l’an 2000 avant l’ère chrétienne.
Les théories selon laquelle la plupart des juifs modernes ne descendraient pas des anciens Hébreux mais de convertis d’origines diverses (Khazars turco-mongols pour les Ashkénazes est-européens, Berbères pour les juifs nord-africains) s’effondrent-elles
Cette découverte clôt maint autre débat. L’hypothèse selon laquelle les premiers Hébreux auraient constitué deux peuples, l’un venu d’Egypte, comme le narre le Livre de l’Exode, et l’autre de Transjordanie, comme semblent le suggérer le Deutéronome et le Livre de Josué, doit être abandonnée ou du moins amendée. De même, les théories selon laquelle la plupart des juifs modernes ne descendraient pas des anciens Hébreux mais de convertis d’origines diverses (Khazars turco-mongols pour les Ashkénazes est-européens, Berbères pour les juifs nord-africains) s’effondrent-elles.
Tant pis pour Arthur Koestler, ou pour Shlomo Sand, leurs succès de librairie n’ont plus aucune valeur scientifique.
Tant pis pour Arthur Koestler, qui avait plaidé pour les Khazars dans La Treizième Tribu, ou pour Shlomo Sand, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Tel-Aviv, mais ignorant en histoire ancienne, qui imagine une suite de conversions dans Comment le peuple juif a-t-il été inventé ? Ces succès de librairie n’ont plus aucune valeur scientifique.
Selon la Bible, la famille d’Abraham, porteuse d’une nouvelle idée de la Divinité et d’un nouvel idéal de justice – la Torah -, s’installe en Canaan, un territoire recouvrant, en termes actuels, Israël et les territoires avoisinants, puis, à la suite de famines, se replie par deux fois en Egypte. Il ne s’agit encore que d’un clan semi-nomade : capable le cas échéant de livrer quelques combats, il est contraint, le plus souvent, de se placer sous la protection des Etats-cités qui se partagent alors le Levant, ou de la grande monarchie pharaonique. Ces conditions correspondent bien à un mode de vie qui a été pratiqué dans la région pendant quelque cinq mille ans, et qui y subsiste encore ça et là au début du XXIe siècle. La présence occasionnelle et parfois permanentes de Sémites est sans cesse attestée en Egypte, de même que des contacts et des interpénétrations entre l’Egypte et le Levant.
Au cours d’un second séjour en Egypte, au IIe millénaire avant l’ère chrétienne, le clan hébreu est réduit au servage. Puis des bouleversements naturels de tout ordre – où la Bible voit « le doigt de Dieu » : les Dix Plaies, la traversée de la mer Rouge – lui permettent soudain de retrouver sa liberté. De nombreux historiens font le rapprochement avec l’explosion de l’île égéenne de Théra, vers -1623, ou encore, selon une autre hypothèse, celle de l’Hekla islandais, en -1159 : deux phénomènes volcaniques cataclysmiques, qui ont eu des répercussions dans le monde entier et plus particulièrement en Méditerranée orientale.
La Torah prend à cette occasion une forme nouvelle, catégorique, et entre dans l’âme des Israélites et de leur descendance pour ne plus jamais en sortir
Un autre évènement entouré de prodiges se produit lors d’un séjour dans le « désert » du Sinaï, qui était alors sans doute, comme le Sahara à la même époque, une steppe semi-herbagée, un « sahel », plutôt qu’une contrée entièrement desséchée : la Révélation. Pacte solennel d’une communauté rescapée à la fois de la servitude et d’une catastrophe écologique et sociétale ? Epiphanie – « Alliance » – du Dieu Un devant la multitude qu’Il s’est choisie, comme le dit l’Ecriture ? Chacun, au XXIe siècle, verra les choses à sa façon. Ce qui est incontestable, c’est que la Torah prend à cette occasion une forme nouvelle, catégorique, et entre dans l’âme des Israélites et de leur descendance pour ne plus jamais en sortir.
Formés à l’égyptienne, maîtrisant diverses techniques militaires, notamment l’organisation en régiments et bataillons, s’étant équipé, ne fût-ce que par pillage, dans les arsenaux de Pharaon, les Hébreux s’emparent bientôt de la plus grande partie du Haut-Pays cananéen, Ha Har, les collines et les vallées situées entre la plaine côtière et le Jourdain. De nombreux rites sont accomplis à cette occasion sur le mont Ebal, l’un des sommets du Haut-Pays : l’archéologue Adam Zertal a en effet retrouvé, à la suite de fouilles menées en 1980, de nombreux artéfacts datables des années 1200-1000 avant l’ère chrétienne, la période présumée de la conquête.
Un nouvel adversaire surgit. La Bible leur donne le nom de Plishtim ou Philistins, qu’elle avait déjà attribué à des populations cananéennes côtières de l’époque des Patriarches et qui signifie tout simplement « Envahisseurs » : en l’occurrence, ce sont les Peuples de la Mer, Crétois et autres proto-Grecs minoens qui, chassés par l’intrusion néo-hellénique dorienne, écument la Méditerranée en quête d’un refuge. Refoulés d’Egypte, non sans peine, par Ramsès III, les Philistins se retranchent dans la plaine côtière cananéenne, la Shéfélah, y établissent cinq Etats-cités et entreprennent de se partager le Haut-Pays. Les Israélites résistent, dirigés par des chefs mi-religieux, mi-politiques, les Shoftim ou Juges (un terme analogue à celui de suffètes, en usage à Carthage). Mais la victoire n’est possible qu’au prix d’une révolution politique : l’instauration, au-dessus des Douze Tribus tribus traditionnelles, d’une monarchie centralisée, capable de lever l’impôt, d’entretenir une armée permanente, de se doter d’armes de fer, comme l’ennemi philistin, et aussi de rallier des non-Israélites : les derniers Cananéens, les Moabites et autres Ammonites ou Edomites, les Araméens, quelques clans d’origine hittite, et même des aventuriers crétois ou anatoliens. Ces événements sont relatés par le Livre de Samuel, une mini-saga, d’un réalisme et d’une objectivité frappantes, au sein de la grande saga biblique.
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Principal héros : le deuxième roi, David, qui non seulement soumet l’ensemble du pays à son autorité, mais conquiert également la Syrie jusqu’à l’Euphrate. Il s’empare de Jébus, un nid d’aigle cananéen situé au centre du pays, et en fait Jérusalem, la capitale royale et nationale. Salomon, l’un de ses plus jeunes fils, parachève l’entreprise en bâtissant le Temple, un sanctuaire de pierre où l’on installe définitivement l’Arche et les autres symboles de l’Alliance avec le Dieu Unique. Depuis une quinzaine d’années, une équipe dirigée par Eilat Mazar a fouillé méthodiquement le site présumé de la Jérusalem davidique : elle a mis à jour un palais, des habitations et des murailles, qui correspondent aux descriptions de l’Ancien Testament.
Après la mort de Salomon, les Dix Tribus septentrionales font sécession, sous le nom de royaume d’Israël ou d’Ephraïm, ou encore de Maison de Joseph ; les Deux Tribus méridionales, Judah et Benjamin, renforcées par une partie de la tribu sacerdotale de Lévi et des lignages de Simon, restent fidèles à la dynastie davidique sous le nom de royaume ou Maison de Judah. A cette partition géographique s’ajoute un clivage idéologique : le Sud reste dans l’ensemble fidèle au Dieu Unique des Pères et à sa Torah, tandis que le Nord tolère, en marge du monothéisme, des pratiques païennes. Ce schisme, relaté par le Livre des Rois et les Chroniques, n’a rien d’irrévocable ou d’irrémédiable. Les deux royaumes gardent le sentiment d’une identité commune ; ils sont le plus souvent alliés et leurs dynasties se marient entre elles. La Torah, préservée par une élite de « voyants » – les Neviim ou prophètes – reste la loi suprême dans les deux Etats. Quand les Assyriens détruisent le royaume d’Israël, à la fin du VIIIe siècle avant l’ère chrétienne, des milliers de réfugiés affluent dans le royaume de Judah, miraculeusement épargné. Et quand l’Empire assyrien s’effondre brutalement, entre -630 et -623, le souverain judéen Josiah – ultra-orthodoxe – reprend possession, sans coup férir, de l’ancien pays-frère.
Une quarantaine d’années plus tard, Judah s’écroule à son tour. Après la mort de Josiah, le royaume réunifié avait tenté de louvoyer entre les deux grandes puissances du moment, l’Egypte et Babylone, contre l’avis du prophète Jérémie, qui conseillait d’accepter l’hégémonie babylonienne. Vers -587, Jérusalem, qui avait échappé au roi assyrien Sennachérib, autrement redoutable, est prise par le Chaldéen Nabuchodonosor. Le Temple est détruit, incendié, la ville ravagée.
Dès 1880, des fouilles avaient exhumé des traces précises de ces narrations : notamment le tunnel percé au VIIIe siècle avant l’ère chrétienne par le roi Ezéchias pour ravitailler Jérusalem en eau en cas de siège, et l’inscription gravée dans le roc à cette occasion (Rois II, XX, 20). Parallèlement, les archives royales assyriennes, découvertes et étudiées pendant une centaine d’années, du milieu du XIXe siècle au milieu du XXe, avaient confirmé littéralement nombre de faits ou de traités relatés par la Bible.
Ces concordances se sont considérablement étendues à travers les fouilles des cinquante dernières années. En 1970, on découvre dans le Quartier juif de la Vieille Ville, à Jérusalem, le mur d’enceinte bâti par le roi Ezéchias, mentionné à deux reprises dans la Bible (Néhémie, III, 8 et Isaïe, XXII, 9-10). Quelques années plus tard, c’est une tour d’enceinte, remontant probablement au roi Manasseh (VIIe siècle), que l’on met à jour, puis des pointes de flèche, en fer et en bronze, du type utilisé par les assaillants babyloniens (VIe siècle). La maison royale de David est mentionnée dans des fragments d’une stèle syrienne du VIIIe siècle découverte à Tel Dan, au nord d’Israël, en 1994.
Parallèlement, de très nombreux artéfacts témoignent de la vie quotidienne israélite : amulettes, sceaux, inscriptions profanes et religieuses, rouleaux métalliques. Des rouleaux en argent découverts en 1979 à Katef Hinom, au sud de Jérusalem, ont été déchiffrés en 2004 : on y retrouve verbatim de nombreuses bénédictions bibliques, notamment la Bénédiction Sacerdotale instituée par Moïse selon le Livre des Nombres (VI, 24-26).
Après la conquête babylonienne, Jérémie et une partie de la population s’enfuient en Egypte. Une autre partie est transplantée en Mésopotamie par les Babyloniens. Quelques groupes misérables demeurent sur place.
Ces drames étaient chose courante dans l’Orient de ce temps. La déportation, en particulier, avait été érigée en méthode de gouvernement par les Assyriens : un peuple arraché à sa terre et à ses dieux – étroitement liés, selon la logique du paganisme, à tel ou tel site – perdait, sinon son identité, du moins la volonté de se battre. Pour un Israël imbu de son identité particulière et de son alliance avec le Dieu Unique, l’épreuve est vertigineuse. Les exilés se laissent dépérir – quatre des six jeûnes rituels du judaïsme ont été institués à cette occasion – ou rêvent d’ultimes révoltes. Jusqu’à ce que Jérémie leur enjoigne, dans une missive, « de construire des maisons et de les habiter, de planter des jardins et d’en manger les fruits, de prendre des femmes et d’enfanter des garçons et des filles, puis de trouver à ces enfants des épouses et des maris afin qu’ils enfantent à leur tour, et qu’ainsi ils croissent en nombre au lieu de diminuer », sans omettre « de prier pour la paix et la prospérité du pays, car de celle-ci dépendra leur propre paix et leur propre prosperité ».
Jérémie est aussi un manifeste… sioniste
C’est pour ainsi dire la fondation officielle de la Diaspora, et la charte des relations qui doivent lier, dans ce nouveau contexte, les juifs aux pays où ils vivront désormais. Mais c’est aussi un manifeste… sioniste. Jérémie, qui avait passé, avant la catastrophe, pour un prophète de malheur, stigmatise ceux qui, en arguant de « fausses révélations », affirment aujourd’hui que tout est perdu : « Car ainsi parle l’Eternel : ‘Lorsque les soixante-dix années imparties à Babylone seront arrivées à leur terme, Je me souviendrai de vous, J’accomplirai le bien que Je vous ai promis, et vous ramènerai vers le pays qui est intrinsèquement le vôtre… Vous Me chercherez, et vous Me trouverez, car c’est de tout votre cœur que Vous m’aurez cherché’ » ( Jérémie, XXIX, 5-13).
En effet, l’Empire babylonien ne dure pas. Il tombe plus rapidement encore que l’Empire assyrien, dès -538, sous les coups de deux peuples indo-européens, les Mèdes et les Perses. Et le premier geste de Cyrus, leur « roi des rois », est selon la Bible de permettre à ceux des Judéens ou juifs – ces termes génériques apparaissent à cette époque – qui le désirent de rentrer dans leur patrie et d’y reconstruire le Temple. L’archéologie a confirmé cet épisode : à ceci près que le nouveau maître accorde la même grâce à tous les peuples asservis par les Assyriens ou les Babyloniens, sans doute pour s’assurer de leur loyauté. Dans un édit gravé sur un cylindre métallique, il affirme : « J’ai réuni les déportés de toutes origines et les ai ramenés dans leurs anciennes habitations ». Une charte trilingue (grec, lycien et araméen), datée du IVe siècle avant l’ère chrétienne et découverte en 1973 par une équipe archéologique française à Xanthos, dans le sud-est de la Turquie actuelle, relate un « retour » des populations anatoliennes locales analogue à celui des juifs, dans des termes qui semblent calqués sur ceux de la Bible.
Quarante mille juifs seulement rentrent à Jérusalem et Judée
Quarante mille juifs seulement rentrent à Jérusalem et Judée – la satrapie perse de Yehud, selon la nouvelle terminologie officielle – avec les prophètes Zorobabel, Ezra et Néhémie : la majorité des exilés restent en Babylonie, en Egypte et dans d’autres contrées plus lointaines. Au IIe siècle avant l’ère chrétienne, la communauté judéenne est assez nombreuse, assez compacte, pour se révolter au nom de la Torah contre ses souverains du moment, les Séleucides syro-hellénistiques, qui tentent de mettre en place une religion païenne d’Etat pour unifier leurs possessions. Les Hasmonéens, une famille de prêtres, créent un nouvel Etat juif indépendant, qui sera, pendant cent cinquante ans, la principale puissance de la région puis le principal vassal de Rome.
Depuis la fin des années 1940, de nombreuses fouilles ont ramené au jour des vestiges de cette époque, qu’il s’agisse des forteresses de Matsadah et de l’Hérodion, des restes du Second Temple rénové par le roi Hérode le Grand, de palais et de maisons particulières. En 1947, la découverte fortuite de huit cents textes ou fragments de texte à proximité de la Mer Morte a prouvé définitivement que tous les textes de l’Ancien Testament avaient été rédigés et étaient en circulation au cours du premier siècle avant l’ère chrétienne, à l’exception du Livre d’Esther. Elle prouve également que certains courants du judaïsme de cette époque possédaient d’autres textes, qui n’ont pas été inclus dans le Canon, mais aussi que certaines des prières faisant partie aujourd’hui de la liturgie juive avaient déjà été fixées. Enfin, elle permet de mieux saisir les circonstances dans lesquelles le christianisme a surgi.
Deux révoltes contre Rome, en 68-71 et en 132-135 de l’ère chrétienne, se soldent par une nouvelle destruction de Jérusalem et un nouvel exil, qui durera cette fois dix huit siècles. Mais les Hébreux, devenus Judéens puis juifs, veillent précieusement sur leur Bible. Et c’est à travers la Bible qu’ils ont repris possession, à partir du XIXe siècle, de leur ancienne patrie.
Hypothèse troublante : les Palestiniens eux-mêmes pourraient être, au moins pour une partie d’entre eux, des descendants d’anciens Judéens convertis de force à l’islam. Une équipe internationale, dirigée par le professeur Ariella Oppenheim, professeur de génétique à l’Université hébraïque de Jérusalem et à l’hôpital Hadassah de Jérusalem, a dressé le profil des Arabes vivant actuellement en Israël et dans les Territoires palestiniens. Ses conclusions ? « Près de deux tiers des Arabes israéliens et des Arabes vivant dans les Territoires palestiniens et une proportion analogue de Juifs israéliens descendent de trois ancêtres préhistoriques au moins qui vivaient au Moyen-Orient à l’époque néolithique, voici 8000 ans environ ». L’équipe Oppenheim a retrouvé chez les Arabes de Palestine des liens génétiques avec les Kurdes. Et même un sous-groupe génétique juif relativement rare, la « lignée Kohen », ainsi nommée parce que la plupart de ses membres appartiennent par ailleurs à la caste sacerdotale juive, les Kohanim ou Cohen, issue d’Aaron, le frère de Moïse.
© Michel Gurfinkiel & Valeurs Actuelles, 2014
La Bible est le Livre de Dieu, mais aussi celui d’un peuple : Israël. A l’aube du XXIe siècle, on peut affirmer que l’archéologie et la génétique valident définitivement cette saga, des Patriarches jusqu’au Deuxième Temple.
La Bible reste le livre le plus lu, le plus traduit et le plus vendu au monde. Elle a été publiée dans quelque 2500 langues différentes, et souvent plusieurs fois dans la même langue. 95 % de la population mondiale pourraient y avoir accès, à condition de savoir lire et d’avoir le droit de le lire (ce qui n’est pas toujours le cas).
Et pourtant ce livre – ou cet ensemble de livres étroitement liés les uns aux autres – est consacré pour l’essentiel à un seul peuple, les Hébreux. C’est le sujet quasi exclusif de l’Ancien Testament, qui constitue les trois quarts du corpus, et un sujet important du Nouveau Testament, qui lui fait suite. Si la Bible commence « par le commencement », c’est à dire la création du monde et du genre humain, elle se resserre rapidement sur l’histoire du Sémite Abraham et de sa descendance, Israël : famille, puis clan, puis nation. De même, les événements clés du Nouveau Testament, relatés dans les Evangiles, concernent-ils principalement des Israélites : Jésus au premier chef.
Jusqu’au XVIIIe siècle, les lecteurs juifs ou chrétiens ne s’interrogeaient guère sur la véracité ou l’historicité de l’Ancien Testament : les désaccords et les débats ne portaient que sur le Nouveau, que les juifs ne reconnaissaient pas, et accessoirement sur quelques textes grecs situés entre les deux Testaments. Quelques savants, dans les deux religions, avaient toutefois noté ici ou là des difficultés ou des contradictions. Le Talmud, somme de la pensée rabbinique antique, ne les esquivait pas. S’il affirmait que les cinq premiers livres de l’Ancien Testament, le Pentateuque, avaient été été dictés par Dieu Lui-même à Moïse, au iota près, il attribuait aux livres suivants, Prophètes et Hagiographes, des rédacteurs tout à fait humains, tantôt individus, tantôt « écoles » ayant réuni plusieurs générations de sages (Traité Baba Bathra, 14b-15a). Ce qui ne retirait rien à leur caractère « inspiré », mais pouvait expliquer de nombreuses disparités.
Au XVIIe siècle, quelques érudits appliquent pour la première fois aux textes bibliques les méthodes critiques utilisées pour l’édition des textes profanes grecs et latins. Ce mouvement atteint son apogée au XIXe siècle, avec la « haute critique », une école dominée par des théologiens et des linguistes allemands : notamment l’Allemand Julius Wellhausen (1844-1918), qui met en forme « l’hypothèse documentaire », selon laquelle la Bible, telle que nous la connaissons, serait un texte composite, où des « sources » diverses (« élohiste », « jéhoviste », « sacerdotale », « deutéronomiste ») auraient été amalgamées et « lissées » avec plus ou moins de bonheur.
C’est le début d’une sorte de course-poursuite entre deux partis : ceux qui rejettent l’historicité de la Bible et par voie de conséquence « l’histoire sainte » du peuple hébreu telle qu’elle était traditionnellement admise par les juifs et les chrétiens ; ceux qui au contraire entendent prouver cette historicité et valider cette histoire.
Les « biblistes » mènent une contre-attaque en règle contre les « antibiblistes » à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle en s’appuyant sur une autre discipline scientifique : l’archéologie. Les fouilles, en Egypte, au Levant, en Mésopotamie, le déchiffrement des écritures antiques (hiéroglyphes, cunéiformes, premiers alphabets), semblent en effet confirmer, dans un premier temps, les récits de l’Ancien Testament. Les « antibiblistes » vont reprendre ensuite l’avantage en insistant, au fur et à mesure que l’archéologie progresse, sur des écarts importants entre la Bible et de nouvelles découvertes, ou bien en avançant que les parallélismes entre textes bibliques et non-bibliques peuvent s’expliquer dans les deux sens, non seulement par la « vérité » de la Bible mais aussi par des emprunts des auteurs du Livre saint aux autres littératures de l’Orient ancien.
Mais une quatrième nouvelle révolution, depuis une cinquantaine d’année, joue en faveur des « biblistes » : et cette fois, d’une manière qui pourrait être décisive. De nouveaux chantiers archéologiques ont été ouverts. Conduits avec des méthodes beaucoup plus rigoureuses que par le passé, ils ont souvent fourni des « chainons manquants » entre Bible et histoire générale. L’informatique, la physique, la chimie, la génétique, l’histoire du climat, ont également modifié les termes du débat. Certes, le cloisonnement croissant entre disciplines historiques ou archéologiques d’une part, et un décalage permanent, d’une trentaine d’années en moyenne, entre la recherche universitaire de pointe et les vulgarisations destinées au grand public, masquent souvent ces progrès. Tout comme une tendance naturelle des non-spécialistes à extrapoler, pour des raisons politiques ou philosophiques, à partir de notions scientifiques mal maîtrisées ; ou encore d’opérations montées par des faussaires, afin d’approvisionner au prix fort des musées ou des laboratoires. Mais on est désormais en mesure de lire ou de relire la Bible – le Livre des Hébreux – comme on ne l’a jamais fait.
La partie la plus ancienne de la Bible, les vies des Patriarches, vient d’être validée sur deux points essentiels
Ainsi, des comparaisons avec des sources externes, notamment les chronologies royales assyriennes, confirmaient largement le récit biblique à partir du VIIe siècle avant l’ère chrétienne ; et d’autres éléments de comparaison confortaient le récit portant sur les deux ou trois siècles précédents. Mais la partie la plus ancienne de la Bible, notamment les vies des Patriarches, passait pour légendaire. Or elle vient d’être validée sur deux points essentiels : le peuple hébreu ou juif descend bien d’un seul clan antique ; et celui-ci venait bien du nord de la Mésopotamie.
C’est la biologie moléculaire qui permet de l’affirmer. Depuis les années 1990, cette discipline reconstitue avec une précision absolue les lignées masculines, révélées par le chromosome Y, et les lignées féminines, mises en évidence par l’ADN mitochondrial. En ce qui concerne les juifs, diverses équipes de chercheurs ont pu ainsi établir une forte homogénéité collective : selon Michael F. Hammer, qui a dirigé l’une de ces équipes à l’Université de l’Arizona, « dans chaque pays, le pool génétique des communautés juives, qu’elles soient ashkénazes ou sépharades, est plus proche de celui de n’importe quelle autre communauté juive dans le monde que de celui de la population non-juive locale, ce qui semble montrer que les conversions et les mariages mixtes ont joué un rôle négligeable dans l’histoire du peuple juif ».
Les généticiens ont également démontré que les juifs ashkénazes et sépharades étaient extrêmement proches des Kurdes musulmans du nord de l’Irak, une population qui, tout en changeant plusieurs fois de nom, de langue et de religion, n’a jamais quitté son territoire. Quand elle affirme qu’Abraham, né à Haran, dans le Kurdistan actuel, émigre vers le Levant pour fonder le peuple d’Israël, la Bible rapporte donc un fait hautement plausible. Les mêmes études donnent par ailleurs une signification nouvelle au trope biblique consistant à confondre un individu et le peuple dont il est le géniteur (Israël, Ismaël, Edom, Moav, Ammon) : elles indiquent en effet que toutes les populations juives actuelles ont pour origine huit lignages seulement. Enfin, elles confirment la chronologie biblique, en faisant vivre ces ancêtres communs « voici quatre mille ans » : vers l’an 2000 avant l’ère chrétienne.
Les théories selon laquelle la plupart des juifs modernes ne descendraient pas des anciens Hébreux mais de convertis d’origines diverses (Khazars turco-mongols pour les Ashkénazes est-européens, Berbères pour les juifs nord-africains) s’effondrent-elles
Cette découverte clôt maint autre débat. L’hypothèse selon laquelle les premiers Hébreux auraient constitué deux peuples, l’un venu d’Egypte, comme le narre le Livre de l’Exode, et l’autre de Transjordanie, comme semblent le suggérer le Deutéronome et le Livre de Josué, doit être abandonnée ou du moins amendée. De même, les théories selon laquelle la plupart des juifs modernes ne descendraient pas des anciens Hébreux mais de convertis d’origines diverses (Khazars turco-mongols pour les Ashkénazes est-européens, Berbères pour les juifs nord-africains) s’effondrent-elles.
Tant pis pour Arthur Koestler, ou pour Shlomo Sand, leurs succès de librairie n’ont plus aucune valeur scientifique.
Tant pis pour Arthur Koestler, qui avait plaidé pour les Khazars dans La Treizième Tribu, ou pour Shlomo Sand, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Tel-Aviv, mais ignorant en histoire ancienne, qui imagine une suite de conversions dans Comment le peuple juif a-t-il été inventé ? Ces succès de librairie n’ont plus aucune valeur scientifique.
Selon la Bible, la famille d’Abraham, porteuse d’une nouvelle idée de la Divinité et d’un nouvel idéal de justice – la Torah -, s’installe en Canaan, un territoire recouvrant, en termes actuels, Israël et les territoires avoisinants, puis, à la suite de famines, se replie par deux fois en Egypte. Il ne s’agit encore que d’un clan semi-nomade : capable le cas échéant de livrer quelques combats, il est contraint, le plus souvent, de se placer sous la protection des Etats-cités qui se partagent alors le Levant, ou de la grande monarchie pharaonique. Ces conditions correspondent bien à un mode de vie qui a été pratiqué dans la région pendant quelque cinq mille ans, et qui y subsiste encore ça et là au début du XXIe siècle. La présence occasionnelle et parfois permanentes de Sémites est sans cesse attestée en Egypte, de même que des contacts et des interpénétrations entre l’Egypte et le Levant.
Au cours d’un second séjour en Egypte, au IIe millénaire avant l’ère chrétienne, le clan hébreu est réduit au servage. Puis des bouleversements naturels de tout ordre – où la Bible voit « le doigt de Dieu » : les Dix Plaies, la traversée de la mer Rouge – lui permettent soudain de retrouver sa liberté. De nombreux historiens font le rapprochement avec l’explosion de l’île égéenne de Théra, vers -1623, ou encore, selon une autre hypothèse, celle de l’Hekla islandais, en -1159 : deux phénomènes volcaniques cataclysmiques, qui ont eu des répercussions dans le monde entier et plus particulièrement en Méditerranée orientale.
La Torah prend à cette occasion une forme nouvelle, catégorique, et entre dans l’âme des Israélites et de leur descendance pour ne plus jamais en sortir
Un autre évènement entouré de prodiges se produit lors d’un séjour dans le « désert » du Sinaï, qui était alors sans doute, comme le Sahara à la même époque, une steppe semi-herbagée, un « sahel », plutôt qu’une contrée entièrement desséchée : la Révélation. Pacte solennel d’une communauté rescapée à la fois de la servitude et d’une catastrophe écologique et sociétale ? Epiphanie – « Alliance » – du Dieu Un devant la multitude qu’Il s’est choisie, comme le dit l’Ecriture ? Chacun, au XXIe siècle, verra les choses à sa façon. Ce qui est incontestable, c’est que la Torah prend à cette occasion une forme nouvelle, catégorique, et entre dans l’âme des Israélites et de leur descendance pour ne plus jamais en sortir.
Formés à l’égyptienne, maîtrisant diverses techniques militaires, notamment l’organisation en régiments et bataillons, s’étant équipé, ne fût-ce que par pillage, dans les arsenaux de Pharaon, les Hébreux s’emparent bientôt de la plus grande partie du Haut-Pays cananéen, Ha Har, les collines et les vallées situées entre la plaine côtière et le Jourdain. De nombreux rites sont accomplis à cette occasion sur le mont Ebal, l’un des sommets du Haut-Pays : l’archéologue Adam Zertal a en effet retrouvé, à la suite de fouilles menées en 1980, de nombreux artéfacts datables des années 1200-1000 avant l’ère chrétienne, la période présumée de la conquête.
Un nouvel adversaire surgit. La Bible leur donne le nom de Plishtim ou Philistins, qu’elle avait déjà attribué à des populations cananéennes côtières de l’époque des Patriarches et qui signifie tout simplement « Envahisseurs » : en l’occurrence, ce sont les Peuples de la Mer, Crétois et autres proto-Grecs minoens qui, chassés par l’intrusion néo-hellénique dorienne, écument la Méditerranée en quête d’un refuge. Refoulés d’Egypte, non sans peine, par Ramsès III, les Philistins se retranchent dans la plaine côtière cananéenne, la Shéfélah, y établissent cinq Etats-cités et entreprennent de se partager le Haut-Pays. Les Israélites résistent, dirigés par des chefs mi-religieux, mi-politiques, les Shoftim ou Juges (un terme analogue à celui de suffètes, en usage à Carthage). Mais la victoire n’est possible qu’au prix d’une révolution politique : l’instauration, au-dessus des Douze Tribus tribus traditionnelles, d’une monarchie centralisée, capable de lever l’impôt, d’entretenir une armée permanente, de se doter d’armes de fer, comme l’ennemi philistin, et aussi de rallier des non-Israélites : les derniers Cananéens, les Moabites et autres Ammonites ou Edomites, les Araméens, quelques clans d’origine hittite, et même des aventuriers crétois ou anatoliens. Ces événements sont relatés par le Livre de Samuel, une mini-saga, d’un réalisme et d’une objectivité frappantes, au sein de la grande saga biblique.
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Principal héros : le deuxième roi, David, qui non seulement soumet l’ensemble du pays à son autorité, mais conquiert également la Syrie jusqu’à l’Euphrate. Il s’empare de Jébus, un nid d’aigle cananéen situé au centre du pays, et en fait Jérusalem, la capitale royale et nationale. Salomon, l’un de ses plus jeunes fils, parachève l’entreprise en bâtissant le Temple, un sanctuaire de pierre où l’on installe définitivement l’Arche et les autres symboles de l’Alliance avec le Dieu Unique. Depuis une quinzaine d’années, une équipe dirigée par Eilat Mazar a fouillé méthodiquement le site présumé de la Jérusalem davidique : elle a mis à jour un palais, des habitations et des murailles, qui correspondent aux descriptions de l’Ancien Testament.
Après la mort de Salomon, les Dix Tribus septentrionales font sécession, sous le nom de royaume d’Israël ou d’Ephraïm, ou encore de Maison de Joseph ; les Deux Tribus méridionales, Judah et Benjamin, renforcées par une partie de la tribu sacerdotale de Lévi et des lignages de Simon, restent fidèles à la dynastie davidique sous le nom de royaume ou Maison de Judah. A cette partition géographique s’ajoute un clivage idéologique : le Sud reste dans l’ensemble fidèle au Dieu Unique des Pères et à sa Torah, tandis que le Nord tolère, en marge du monothéisme, des pratiques païennes. Ce schisme, relaté par le Livre des Rois et les Chroniques, n’a rien d’irrévocable ou d’irrémédiable. Les deux royaumes gardent le sentiment d’une identité commune ; ils sont le plus souvent alliés et leurs dynasties se marient entre elles. La Torah, préservée par une élite de « voyants » – les Neviim ou prophètes – reste la loi suprême dans les deux Etats. Quand les Assyriens détruisent le royaume d’Israël, à la fin du VIIIe siècle avant l’ère chrétienne, des milliers de réfugiés affluent dans le royaume de Judah, miraculeusement épargné. Et quand l’Empire assyrien s’effondre brutalement, entre -630 et -623, le souverain judéen Josiah – ultra-orthodoxe – reprend possession, sans coup férir, de l’ancien pays-frère.
Une quarantaine d’années plus tard, Judah s’écroule à son tour. Après la mort de Josiah, le royaume réunifié avait tenté de louvoyer entre les deux grandes puissances du moment, l’Egypte et Babylone, contre l’avis du prophète Jérémie, qui conseillait d’accepter l’hégémonie babylonienne. Vers -587, Jérusalem, qui avait échappé au roi assyrien Sennachérib, autrement redoutable, est prise par le Chaldéen Nabuchodonosor. Le Temple est détruit, incendié, la ville ravagée.
Dès 1880, des fouilles avaient exhumé des traces précises de ces narrations : notamment le tunnel percé au VIIIe siècle avant l’ère chrétienne par le roi Ezéchias pour ravitailler Jérusalem en eau en cas de siège, et l’inscription gravée dans le roc à cette occasion (Rois II, XX, 20). Parallèlement, les archives royales assyriennes, découvertes et étudiées pendant une centaine d’années, du milieu du XIXe siècle au milieu du XXe, avaient confirmé littéralement nombre de faits ou de traités relatés par la Bible.
Ces concordances se sont considérablement étendues à travers les fouilles des cinquante dernières années. En 1970, on découvre dans le Quartier juif de la Vieille Ville, à Jérusalem, le mur d’enceinte bâti par le roi Ezéchias, mentionné à deux reprises dans la Bible (Néhémie, III, 8 et Isaïe, XXII, 9-10). Quelques années plus tard, c’est une tour d’enceinte, remontant probablement au roi Manasseh (VIIe siècle), que l’on met à jour, puis des pointes de flèche, en fer et en bronze, du type utilisé par les assaillants babyloniens (VIe siècle). La maison royale de David est mentionnée dans des fragments d’une stèle syrienne du VIIIe siècle découverte à Tel Dan, au nord d’Israël, en 1994.
Parallèlement, de très nombreux artéfacts témoignent de la vie quotidienne israélite : amulettes, sceaux, inscriptions profanes et religieuses, rouleaux métalliques. Des rouleaux en argent découverts en 1979 à Katef Hinom, au sud de Jérusalem, ont été déchiffrés en 2004 : on y retrouve verbatim de nombreuses bénédictions bibliques, notamment la Bénédiction Sacerdotale instituée par Moïse selon le Livre des Nombres (VI, 24-26).
Après la conquête babylonienne, Jérémie et une partie de la population s’enfuient en Egypte. Une autre partie est transplantée en Mésopotamie par les Babyloniens. Quelques groupes misérables demeurent sur place.
Ces drames étaient chose courante dans l’Orient de ce temps. La déportation, en particulier, avait été érigée en méthode de gouvernement par les Assyriens : un peuple arraché à sa terre et à ses dieux – étroitement liés, selon la logique du paganisme, à tel ou tel site – perdait, sinon son identité, du moins la volonté de se battre. Pour un Israël imbu de son identité particulière et de son alliance avec le Dieu Unique, l’épreuve est vertigineuse. Les exilés se laissent dépérir – quatre des six jeûnes rituels du judaïsme ont été institués à cette occasion – ou rêvent d’ultimes révoltes. Jusqu’à ce que Jérémie leur enjoigne, dans une missive, « de construire des maisons et de les habiter, de planter des jardins et d’en manger les fruits, de prendre des femmes et d’enfanter des garçons et des filles, puis de trouver à ces enfants des épouses et des maris afin qu’ils enfantent à leur tour, et qu’ainsi ils croissent en nombre au lieu de diminuer », sans omettre « de prier pour la paix et la prospérité du pays, car de celle-ci dépendra leur propre paix et leur propre prosperité ».
Jérémie est aussi un manifeste… sioniste
C’est pour ainsi dire la fondation officielle de la Diaspora, et la charte des relations qui doivent lier, dans ce nouveau contexte, les juifs aux pays où ils vivront désormais. Mais c’est aussi un manifeste… sioniste. Jérémie, qui avait passé, avant la catastrophe, pour un prophète de malheur, stigmatise ceux qui, en arguant de « fausses révélations », affirment aujourd’hui que tout est perdu : « Car ainsi parle l’Eternel : ‘Lorsque les soixante-dix années imparties à Babylone seront arrivées à leur terme, Je me souviendrai de vous, J’accomplirai le bien que Je vous ai promis, et vous ramènerai vers le pays qui est intrinsèquement le vôtre… Vous Me chercherez, et vous Me trouverez, car c’est de tout votre cœur que Vous m’aurez cherché’ » ( Jérémie, XXIX, 5-13).
En effet, l’Empire babylonien ne dure pas. Il tombe plus rapidement encore que l’Empire assyrien, dès -538, sous les coups de deux peuples indo-européens, les Mèdes et les Perses. Et le premier geste de Cyrus, leur « roi des rois », est selon la Bible de permettre à ceux des Judéens ou juifs – ces termes génériques apparaissent à cette époque – qui le désirent de rentrer dans leur patrie et d’y reconstruire le Temple. L’archéologie a confirmé cet épisode : à ceci près que le nouveau maître accorde la même grâce à tous les peuples asservis par les Assyriens ou les Babyloniens, sans doute pour s’assurer de leur loyauté. Dans un édit gravé sur un cylindre métallique, il affirme : « J’ai réuni les déportés de toutes origines et les ai ramenés dans leurs anciennes habitations ». Une charte trilingue (grec, lycien et araméen), datée du IVe siècle avant l’ère chrétienne et découverte en 1973 par une équipe archéologique française à Xanthos, dans le sud-est de la Turquie actuelle, relate un « retour » des populations anatoliennes locales analogue à celui des juifs, dans des termes qui semblent calqués sur ceux de la Bible.
Quarante mille juifs seulement rentrent à Jérusalem et Judée
Quarante mille juifs seulement rentrent à Jérusalem et Judée – la satrapie perse de Yehud, selon la nouvelle terminologie officielle – avec les prophètes Zorobabel, Ezra et Néhémie : la majorité des exilés restent en Babylonie, en Egypte et dans d’autres contrées plus lointaines. Au IIe siècle avant l’ère chrétienne, la communauté judéenne est assez nombreuse, assez compacte, pour se révolter au nom de la Torah contre ses souverains du moment, les Séleucides syro-hellénistiques, qui tentent de mettre en place une religion païenne d’Etat pour unifier leurs possessions. Les Hasmonéens, une famille de prêtres, créent un nouvel Etat juif indépendant, qui sera, pendant cent cinquante ans, la principale puissance de la région puis le principal vassal de Rome.
Depuis la fin des années 1940, de nombreuses fouilles ont ramené au jour des vestiges de cette époque, qu’il s’agisse des forteresses de Matsadah et de l’Hérodion, des restes du Second Temple rénové par le roi Hérode le Grand, de palais et de maisons particulières. En 1947, la découverte fortuite de huit cents textes ou fragments de texte à proximité de la Mer Morte a prouvé définitivement que tous les textes de l’Ancien Testament avaient été rédigés et étaient en circulation au cours du premier siècle avant l’ère chrétienne, à l’exception du Livre d’Esther. Elle prouve également que certains courants du judaïsme de cette époque possédaient d’autres textes, qui n’ont pas été inclus dans le Canon, mais aussi que certaines des prières faisant partie aujourd’hui de la liturgie juive avaient déjà été fixées. Enfin, elle permet de mieux saisir les circonstances dans lesquelles le christianisme a surgi.
Deux révoltes contre Rome, en 68-71 et en 132-135 de l’ère chrétienne, se soldent par une nouvelle destruction de Jérusalem et un nouvel exil, qui durera cette fois dix huit siècles. Mais les Hébreux, devenus Judéens puis juifs, veillent précieusement sur leur Bible. Et c’est à travers la Bible qu’ils ont repris possession, à partir du XIXe siècle, de leur ancienne patrie.
Hypothèse troublante : les Palestiniens eux-mêmes pourraient être, au moins pour une partie d’entre eux, des descendants d’anciens Judéens convertis de force à l’islam. Une équipe internationale, dirigée par le professeur Ariella Oppenheim, professeur de génétique à l’Université hébraïque de Jérusalem et à l’hôpital Hadassah de Jérusalem, a dressé le profil des Arabes vivant actuellement en Israël et dans les Territoires palestiniens. Ses conclusions ? « Près de deux tiers des Arabes israéliens et des Arabes vivant dans les Territoires palestiniens et une proportion analogue de Juifs israéliens descendent de trois ancêtres préhistoriques au moins qui vivaient au Moyen-Orient à l’époque néolithique, voici 8000 ans environ ». L’équipe Oppenheim a retrouvé chez les Arabes de Palestine des liens génétiques avec les Kurdes. Et même un sous-groupe génétique juif relativement rare, la « lignée Kohen », ainsi nommée parce que la plupart de ses membres appartiennent par ailleurs à la caste sacerdotale juive, les Kohanim ou Cohen, issue d’Aaron, le frère de Moïse.
© Michel Gurfinkiel & Valeurs Actuelles, 2014
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